LE MANGEUR DE LUNE 1935-1991
Je ne vais pas vous raconter ma vie. LES IMAGES DU PAUVRE
Enfant je possédais des images pieuses que j’échangeais contre des capotes anglaises aux soldats américains venus libérer notre territoire occupé par des images de bottes. J’en faisais des ballons. Enfant sans fric, je préférais le mystère de la bulle d’air et le terrible pouvoir qui la saignait quand elle partait découvrir un monde que je me contentais d’imaginer plein d’avions, de bombes et de types méchants avec des couteaux partout, même dans le coeur, jusqu’à la garde des rêves. Je n’écrivais pas encore. J’avais le temps de rêver, suprême délice, le temps de percevoir le temps, jusqu’au jour où mes images se mirent à tournoyer, à encombrer mes instants, à grelotter à la porte de mes mains, à écumer des métaphores. J’aurai voulu les tuer. J’ai tenté de les fuir. Elles ne se laissèrent pas faire, dévorant mes répits, broyant ma vie, je devins inconscience. J’étais en perdition.
Les sauveteurs de tous mérites m’offrirent leurs services : j’abusais de leur mansuétude couarde, car ils ne désiraient pas m’aider à canaliser, à trier, à classer, ils lorgnaient mes images pour les faire à leur semblance. Ils voulaient, les saints hommes, me jeter dans le moule à copie conforme, me faire bouffer du calque, me soumettre à l’offset pour tirer à multiples exemplaires des stéréotypes à leur dévotion. Mes images ne se laissèrent pas duper, elles étaient filles pas faciles d’une insoumission révolutionnaire. Quand pris-je conscience qu’il fallait que je m’en sorte seul ? Je ne saurais le dire avec exactitude, mais dès lors je vis un grand nombre de rats sauter du navire et une salubre tempête les noya queue et tout.
Je sus très vite qu’il me faudrait faire un pacte avec les mots : les tractations furent longues et pénibles, j’avais tant à apprendre.
Mes facultés nécessiteuses manquaient de vocabulaire, de connaissances et de livres. Je possédais mes images il fallait leur apprendre à faire l’amour. Ce ne fut pas une mince affaire : combien de procédés, de recettes, de trucs, de traquenards, de pièges, de tindelles, dus-je utiliser ? mais les malignes trouvaient toujours une issue de secours.
J’appris des autres qu’on pouvait donner langue au hasard, utiliser les lettres et aller promener des squelettes d’images dans des chantiers indifférents, l’agencement scientifique des structures, l’insignification du signifiant, les aléas formidables des ordinateurs, l’impersonnalité des paris suggérant.
Pouvais-je refuser d’en tenir compte ?
Mais que devenaient mes images à langues multiples sans le choix créatif d’une loupe installée à hauteur de quotidien ?
JE VOUS LE DEMANDE.
2 Octobre 1935
Le négus d’Abyssinie n’a pas encore HORMONE
L'hormone mâle,
2 OCTOBRE 1935 22 heures
Ma mère 2 OCTOBRE 1935 24 heures Minuit chrétienne 2 AOUT 1937 Quelque part vers mes 3 ans et vers 20 heures.
La pluie.
J’AI ENFANCE
J’ai J’ai MAMAN
J'ouvre mon front à la paix pivoine coquelicot
Journal dérisoire d’un petit poète
ou plutôt si
mais il vous faudra démêler :
le vrai du vrai,
le faux de l’à-peu-près,
le roman du songe,
l’affabulation
de l’histoire qui aurait pu arriver
à n’importe qui
à n’importe quel
à autant en n’importe le veuf
de la poésie
et de la mort.
Vous allez entrer dans la plus dérisoire aventure
du vingtième siècle
et des siècles précédents
pour presque rien
un sourire
une corde à noeuds
un noeud papillon
dans la dérive la plus parfaite
qu’ait pu donner à lire
à voir
à aimer
le JOURNAL D’UN POETE
que tout le monde prenait pour quelqu’un d’autre.
Même lui.
attaqué l’Italie
et ses chars d’assaut
campent sagement devant Venise
attendant que les poutres s’enfoncent dans la mer
mangées par la rouille du conflit
et de l'histoire...
Je vagis déjà
couvert par une couveuse
recouvert de chaleur
découvert par BENITO
qui salue à l’HITLER
comme un chasseur de mouches
énervé de ne pouvoir les tuer.
L’EUROPE EST EN CHALEUR
précède la suivante
et de vague en vague
ma couveuse s’entrouvre
sur le chapitre 3 de NOTRE DAME de PARIS
en plein office des passés aux actes.
Je vous salue maris
qui n’osez pas épouser ma mère
elle est trop belle.
la mienne
spermatozoïdée par deux siècles
de parisiens plutôt baiseurs
par dessus les moulins de la galette
et tous les moulins de Paris
remplacés en haut de la butte
par des bordels à touristes
en culbutes et vadrouille.
Ah les petites parisiennes à cent balles
qui servaient de bornes aux virées
que nous fîmes quelques soirs fameux
seulement dans nos mémoires.
L'hormone mâle,
la mienne,
s'en souvient encore.
toi qui fais des ménages pour les riches oisifs
et prends les vessies pour des réverbères.
Ma mère tume
Ma mère rit.
Ma mère du complexe qui ne sait pas FREUD
sur le buis de ton rosaire.
Ma mère bancale et claudicante
d’un taxi en maraude
que tu n’avais pas vu.
Et la pension jamais payée d’une assurance fantôme
Que l’homme n’avait pas assurée d’un contrat.
Ma mère l’oie
Ma mère concierge
qui en brûlait un tous les jours
à SAINT ANTOINE DE PADOUE
pour retrouver l’artiste qui t’avait fait grosse
de deux mômes
MA MÈRE
Ma mère MARIA
Ma mère LESIEUR
née MANGERET un jour de batteuse
bourrée comme une bourbonnaise.
Ma mère
Tu attends là
Sur un banc de la salle publique de l’hôtel-Dieu
SEULE
et depuis 40 jours
sans boire ni manger
sans penser au passé
SEULE
comme le déluge du père NOE
qu’un mec en blouse blanche
te montre tes jésus
ANNE- MARIE et JEAN-PIERRE
nés de père presque inconnu.
Rentre chez toi
Retraverse le parvis.
Enfile le pont d’Arcole comme un vieil édredon
Tangente l’Hôtel de Ville.
Laisse sur la gauche le gibet de Nerval
et celui de François.
Ils sont droits de touristes
et tristes d’imaginaire.
Drape ton innocence dans le suaire rose
du soleil qui ce soir
fait le tour du cadran.
Claudique encore un peu
jusqu’à Saint Meri
Avant-hier Desnos y dérivait encore.
Mais tout ça tu t’en fous
t’en sais même rien
à l’école des moissons
on n’apprend pas à lire
le cresson des poètes.
Il pleut toujours quand le malheur
souffle sur les toits
et ça glisse...
Mon père, celui qui nous a reconnus,
un gosse sur chaque bras
privilège des jumeaux
fin saoulfunambule neuf
d’un cirque en dérive
attaque l’inconscience
du bord de la gouttière
au sixième étage
sous le regard effrayé de ma mère.
Le vasistas laisse un petit carreau de lumière
plus bas la rue
au macadam bien dur.
Il fait un petit tour sous le ciel sans étoiles
nous pleurons de plaisir et de trouille.
Il y a un Dieu pour les ivrognes
La pluie.
mangé d’incommensurables sonnettes venues en droite ligne des quincailleries sans fric de ma guerre en bretelles courtes.
Vrillé d’impassibles heurtoirs en acier déforgé par la gueule des lions au poli de Miror.
Jeté sur le trottoir toutes les concierges du Marais avec leurs cris en forme de balais pour me casser les côtes.
Profité de l’asile des porches pour tester mes premières rafales de baisers.
Gravé sur les chapes des ruisseaux mon maquillage d’enfant éberlué par les larmes d’un couteau taché.
Guéri ma peur du noir en cassant d’un coup de gencive les doigts visqueux des minuteries.
Mouillé d’un sexe discret la moiteur invisible des servantes en rupture d’aube qui ouvraient leurs lèvres bien avant de savoir.
Grandi tout à fait par hasard dans l’hôtel
Guénégaud
avec une chatte rousse
une soeur jumelle
et tous les petits juifs
de la rue des quatre fils
dont l’étoile de David brillait au saute-mouton
de nos récréations
et nul ne fut mieux préparé que moi
à la soudaine migration
des mal partis.
panachée de rêves espérés du fond des âges
qui cachent sur la plage des mauves
les serviettes huile solaire de mes yeux.
Petite maman des mesures de baisers
distribués plus vite que tes lèvres.
Maman triste de la risée des soirs d'orfèvres
avec saint Eloi en supensoir sur l'estomac,
craquelure fine d'une touche d'infante
qui frémit à l'orée des rosées flacon
quand ta bouche éreinte la lèvre du dernier mot.